La bataille juridique entre Epic Games et Apple, entamée en 2020, a connu un tournant décisif au printemps 2025, après cinq années de tensions, de procès et de décisions judiciaires à rebondissements. À l’origine du conflit, le retrait brutal de Fortnite de l’App Store par Apple, suite à la tentative d’Epic d’introduire dans son jeu un système de paiement alternatif évitant les commissions imposées par la firme californienne.

Première décision judiciaire en 2021
Dès le départ, Epic Games a contesté les pratiques commerciales d’Apple qu’il jugeait anticoncurrentielles. Le cœur du litige portait sur la politique de l’App Store, notamment l’interdiction pour les développeurs de proposer aux utilisateurs des moyens de paiement extérieurs à la plateforme. Apple, de son côté, justifiait ses commissions de 30 % par les coûts d’infrastructure et de sécurité, tout en affirmant défendre la cohérence de son écosystème.
En 2021, une première décision de justice avait déjà contraint Apple à assouplir ses règles. La juge fédérale Yvonne Gonzalez Rogers avait alors émis une injonction obligeant Apple à autoriser les développeurs à rediriger les utilisateurs vers des moyens de paiement tiers via des liens intégrés aux applications. Cette décision, cependant, n’a pas été suivie d’une mise en conformité claire. En 2024, Epic Games a relancé une action en justice, arguant qu’Apple continuait à violer l’injonction, notamment en instaurant de nouvelles commissions (entre 12 % et 27 %) sur les achats effectués via les liens in-app, et en imposant diverses restrictions dissuasives.
Décision de 2025 : Apple reconnu en infraction
La décision rendue fin avril 2025 confirme ces accusations. La juge Rogers accuse Apple d’avoir intentionnellement contourné la décision initiale, et d’avoir même menti à la cour. Elle reproche à l’entreprise d’avoir instauré des écrans dissuasifs pour effrayer les utilisateurs lorsqu’ils s’apprêtaient à quitter une application pour effectuer un achat externe, ou encore d’avoir limité l’utilisation de liens dynamiques, rendant difficile une expérience fluide pour les consommateurs.
La situation s’aggrave encore avec les révélations autour d’Alex Roman, vice-président des finances chez Apple, accusé d’avoir fait de fausses déclarations sous serment concernant la mise en place des nouvelles commissions. Des documents internes ont montré que la politique tarifaire contestée avait été préparée dès 2023, bien avant les déclarations officielles de l’entreprise.
Interdictions et d’éventuelles poursuites pour Apple
Conséquence immédiate de cette décision : Apple doit cesser de percevoir toute commission sur les achats réalisés hors de l’App Store, sans condition ni contrôle. Elle doit également permettre aux développeurs d’intégrer librement des liens dynamiques et des boutons vers des boutiques extérieures, sans restreindre leur forme, leur positionnement ni leur langage. Apple n’est plus autorisée à exclure certaines catégories d’applications de cette liberté, ni à imposer des messages d’avertissement biaisés aux utilisateurs.
La juge Rogers a pris soin de souligner que sa décision était exécutoire immédiatement, sans possibilité de sursis, en raison du comportement jugé obstiné et dilatoire d’Apple. Plus encore, l’affaire a été transmise au bureau du procureur fédéral du district nord de Californie, ouvrant la voie à une éventuelle procédure pour outrage criminel contre Apple et son cadre dirigeant.
Réaction d’Epic Games et relance commerciale
Du côté d’Epic Games, cette victoire est saluée comme une avancée majeure pour les développeurs et la liberté de choix des consommateurs. Le PDG Tim Sweeney a réagi en annonçant le retour prochain de Fortnite sur l’App Store américain, et a proposé une forme de trêve : si Apple applique les mêmes conditions à l’échelle mondiale, Epic Games est prêt à abandonner toute procédure judiciaire future.
En parallèle, Epic Games a profité de l’élan judiciaire pour annoncer des nouveautés commerciales : l’ouverture, à partir de juin 2025, d’un système de webshops via l’Epic Games Store, permettant aux développeurs de vendre directement leurs contenus hors des plateformes mobiles traditionnelles. Un assouplissement de la politique de partage des revenus accompagne cette initiative : aucun pourcentage ne sera prélevé sur le premier million de dollars généré par application chaque année, et ce n’est qu’au-delà que le taux de 12 % s’appliquera.
La décision judiciaire de 2025 ne clôt pas nécessairement tous les volets du conflit, notamment en Europe, où Epic Games continue d’accuser Apple de freiner le déploiement de son propre store, notamment en rejetant ses soumissions pour des motifs jugés artificiels. Mais elle constitue, à ce jour, le revers le plus important subi par Apple dans sa gestion de l’App Store. Plus largement, elle pose un jalon dans les discussions sur la régulation des grandes plateformes numériques et sur les droits des développeurs à opérer en dehors des écosystèmes verrouillés.